Regards

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Lettre à des Israéliens

Publié le jeudi 10 août 2006 (par Dominique)

Une fois de plus je laisse la plume à un auteur, pour faire entendre une autre voix. Pourquoi chercher à paraphraser ce qui a été si bien écrit ?

“Que vous a rapporté votre inflexibilité ? La terreur aux portes de vos maisons, un univers enfermé, hostile à toute différence : le contraire de la pensée juive universelle qui nous a tant donné. ”
par Dominique Eddé

Dominique Eddé
Dominique Eddé


Vos choix, à l'heure qu'il est, nous concernent tous.
Je m'adresse ici à ceux d'entre vous qui approuvent cette guerre.
Plus de 80% du peuple israélien.
Au nom de votre sécurité, vous avez donné à vos gouvernants le droit de mettre à terre deux peuples et deux pays, la Palestine et le Liban.

Sur quoi se fonde votre confiance renouvelée dans le pouvoir des bombes ?
En quoi cette vision de soi sans l'autre est-elle une manière d'affronter la réalité, de protéger votre avenir ?

Si seulement vous saviez le montant de violence et de haine que sèment vos chars et vos avions, si vous saviez le long chemin que tant d'entre nous, vos voisins, ont fait pour vous comprendre, vous connaître, vous reconnaître, vous auriez peur de votre peur, peur du fourvoiement qu'elle vous inspire. Vous useriez de la force écrasante qui est la vôtre pour ne confier la paix qu'à l'application du droit : au retrait de vos troupes de tous les territoires occupés, au démantèlement de toutes les colonies, au respect de la légitimité du gouvernement palestinien.

Le recours à la toute-puissance militaire ne vous a-t-il pas donné la preuve en Palestine, ainsi qu'à vos alliés américains en Irak, de son impuissance à mettre la réalité au pas de vos désirs ?
Vos gouvernants ont beau mettre le feu au paysage qui vous effraie, plus ce paysage brûle, plus il vous fait peur. La réalité que vos chars et vos avions prennent pour cible - vies humaines, maisons, routes, villes et villages -, à peine l'avez-vous démolie qu'elle vous échappe. Si tangible, si spectaculaire soit-elle, la conquête qui est à la portée de vos soldats est un leurre. C'est, certes, une domination de l'espace, mais le temps ? Comment espérez-vous l'atteindre ? C'est pourtant lui votre ennemi, c'est lui qu'il vous faut amadouer, apprivoiser. Car cet espace, quoi que vous fassiez, est habité par un monde qui survit à ses morts et qui n'est pas le vôtre.

Plus vous le détruisez, le rasez, l'effacez, plus sa mémoire grandit et se transforme en haine. D'elle, de cette mémoire embrasée, vous ne pourrez jamais vous faire obéir. Si loin soit-elle de la vôtre, plus rien ne sert de la nier et de lui faire porter le crime qui fut perpétré contre votre peuple. Ce n'est pas ici, c'est en Europe que le peuple juif a enduré l'horreur. Et c'est encore là-bas qu'un certain nombre de vos alliés, au prétexte de vous défendre, ne soutiennent vos guerres que pour mieux s'acquitter de leur culpabilité. Ne vous laissez pas berner par le silence approbateur du monde. Ralliez plutôt vos dissidents qui seront un jour l'honneur de votre histoire.

Les mouvements islamistes vous font peur ?
Le Hamas et le Hezbollah vous menacent ?
Il vous faut en finir, les rayer de la carte, les arracher comme des arbres, jusqu'aux dernières de leurs racines ? Vous ne pouvez pas, vous ne pourrez pas y parvenir. Voyez l'Irak démembré, décomposé, soumis depuis trois ans au rythme quotidien de ses plusieurs dizaines de morts et de blessés. Voyez maintenant le Liban, sur lequel votre armée s'acharne de tous côtés. Quel trophée vous attend à l'horizon des morts et de l'exode que vous causez ? Aucun.

La presque totalité de la population chiite libanaise - soit près de 40% du peuple - soutient le Hezbollah, qui, souvenez-vous, est né en 1982 pour résister à la première invasion du Liban par vos troupes. Depuis, ce n'est plus seulement un parti armé, c'est une organisation sociale, politique, économique, un mode de pensée, une force incontournable.
Celle-ci, bien qu'alliée à l'Iran, n'est en aucun cas un corps étranger au Liban, elle en est désormais, que cela vous plaise, que cela nous plaise ou pas, une partie constituante, déterminante. Rêver son éradication à coups de bombes, c'est rêver de faire marcher un homme en lui coupant les jambes. C'est aussi exposer le Liban aux risques d'une nouvelle guerre civile.
Seul le temps - encore lui - permettait, aurait peut-être permis, le lent réajustement des équilibres interlibanais. Votre État n'a cessé d'essayer, durant les cinquante-huit ans de son histoire, de troquer l'application du droit contre celle de la force. En est-il plus avancé ?

À présent, faisons les comptes. Mettons provisoirement de côté la souffrance endurée, une décennie après l'autre, par les Palestiniens, oublions un instant le droit du Liban, à n'être pas qu'un champ de ruines, qu'avez-vous gagné, vous, peuple israélien, à ne renoncer à rien ? Ou alors, si, soyons juste, vous avez renoncé au Grand Israël, mais en échange de quoi ? De quel territoire morcelé, de quelle invivable prison pour les Palestiniens ? Et pour finir, que vous a rapporté votre inflexibilité ? Quoi d'autre que la terreur aux portes de vos maisons ? Quoi de plus qu'un univers enfermé, hostile à toute différence : le contraire de la pensée juive universelle qui nous a tant donné ?

Vos ennemis de la veille - les Arabes - sont défaits, totalement défaits. Ce monde qu'on appelait “le monde arabe” et que vous perceviez, de loin, comme la pire des menaces, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Son peu d'existence, il ne la doit plus désormais qu'à sa langue, qui, soit dit en passant, n'est pas sans rapport avec la vôtre. Ses autres liens et ressorts n'ont plus d'existence. Ils sont politiquement morts. Ni les guerres du Golfe, ni les guerres du Liban et de l'Algérie, ni celles de la Palestine et de l'Irak, ni, aujourd'hui, votre ré-invasion de ce pays harcelé qui est le mien, n'ont provoqué le moindre mouvement de solidarité arabe.

Certains d'entre vous y voient peut-être le signe d'une première victoire. Ils auraient tort. Car ce monde vaincu, fini, décomposé, a donné à Israël, ainsi qu'aux grandes puissances, la mauvaise habitude de marcher au rythme et à la cadence que ceux-ci leur imposaient. Bon gré mal gré, il a, depuis la fin de l'Empire ottoman, réglé sa montre à l'heure occidentale, adopté un calendrier qui n'était pas le sien.

Cette marche forcée ne fut pas, loin de là, le seul motif de ses naufrages mais elle y a contribué. Quoi qu'il en soit, le religieux, revenu en force sur la scène politique, a pris désormais le relais de l'arabisme. Et ce nouvel Orient déboussolé est, encore une fois, bien trop compliqué pour se laisser forger comme du métal par la seule volonté du couple israélo-américain et par le feu des bombes.

La plupart des régimes arabes, que n'épuise aucun adjectif - répressifs, mensongers, traîtres et corrompus -, sont en état de survie artificielle. C'est l'islamisme qui prend désormais un peu partout, sous des formes diverses, le relais de l'arabisme. Ce fait vous déplaît ? À bien d'entre nous aussi, figurez-vous. Quand je dis “nous”, je pense à tous ceux qui, dans les pays arabes, se sont battus en faveur d'une citoyenneté qui transcende les appartenances communautaires. Pour des millions d'hommes, ce raz de marée signe une énorme défaite. Il n'empêche : le principe de réalité n'est pas une image que l'on efface en appuyant sur la gâchette.

Les équilibres ou les déséquilibres au sein de l'Islam, est-ce à vous ou est-ce aux musulmans eux-mêmes d'en décider ? Car le temps des islamistes, je me répète, n'est plus à la merci du vôtre. Vous aurez beau poursuivre leurs hommes de ville en ville, de pays en pays, les heures et les années qui sont les leurs n'ont plus de comptes à vous rendre. Tendez l'oreille, et comparez les discours arabes du siècle dernier avec ceux des actuels chefs religieux. Le débit des premiers est pressé, survolté, branché sur l'Occident, le second est lent, calme, indifférent à vos sommations, à vos ultimatums. Les islamistes ont donné un énorme coup de frein à la marche de l'histoire. Contre cette nouvelle horloge, vos bombes ne peuvent rien.

Votre compréhension, en revanche, votre juste appréciation du court et du long terme peut initier un mouvement qui protège vos droits sans détruire les nôtres ; mieux : qui fasse de votre pays un pôle autour duquel se rallier, une démocratie ouverte et non pas un vase clos fondé sur la conscience abusive d'une supériorité intrinsèque.
Le pari est risqué ? Certes.
Il est déjà trop tard ? Peut-être.
Mais y a-t-il une autre voie qui ne soit suicidaire ?

Née à Beyrouth, Dominique Eddé, qui vit aujourd'hui à Paris, a publié en 1989 “Lettre posthume” chez Gallimard, puis, en 1992, “Beyrouth centre-ville” (Cyprès) et, en 1999, “Pourquoi il fait si sombre ?” (Seuil). Son dernier roman, “Cerf-volant”, a été publié en 2003 dans la collection l'Arpenteur chez Gallimard.

Le présent article a été publié le dimanche 6 août 2006sur le site Aloufok.net

Dominique Eddé est signataire de la pétition :
“Non au terrorisme de l'État d'Israël contre les peuples Palestiniens et Libanais”

Vous pouvez signer et faire signer la pétition à l'adresse :
http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=32

Nous, Juifs contre les frappes d'Israël

Publié le jeudi 10 août 2006 (par Dominique)

Vingt-quatre ans après les massacres de Sabra et Chatila et l'appel de Pierre-Vidal Naquet, nous condamnons les attaques meurtrières de Tsahal et demandons un cessez-le-feu immédiat au Liban.

Voici vingt-quatre ans, Israël lançait au Liban l'opération “Paix en Galilée”, qui allait, par les bombardements terrestres et aériens, faire des centaines de victimes civiles et qui devait aussi, du fait de l'appui apporté par Israël à ses supplétifs libanais, conduire aux massacres de Sabra et Chatila.

C'est alors que, grâce à l'initiative de Pierre Vidal-Naquet notamment , fut lancé un appel de cent intellectuels juifs qui se désolidarisaient des soutiens inconditionnels à l'opération menée par Ariel Sharon et la condamnaient.

Après les massacres, un rassemblement devant l'ambassade d'Israël fut organisé par le Comité des Juifs contre la guerre au Liban pour exprimer sa colère. Vingt-quatre ans plus tard, les successeurs de Sharon ont pris la relève. Ils lancent sur le Liban des attaques meurtrières comme celle de Cana, où les victimes sont surtout des femmes et des enfants comme ce fut le cas dix ans plus tôt au même endroit.
En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, après l'enlèvement d'un soldat israélien, et prenant prétexte du tir de roquettes artisanales, l'armée israélienne, après son coup de force contre le gouvernement palestinien démocratiquement élu, tire à l'arme lourde avec, là encore, des dizaines de victimes, dont la moitié sont des civils, femmes et enfants compris, cela après avoir détruit les infrastructures assurant un minimum vital aux populations.

Précisons-le : les soussignés ne sont des inconditionnels ni du Hezbollah, ni du Hamas. Et nous avons toujours condamné les attentats-suicides contre les populations civiles israéliennes, tout comme nous déplorons, aujourd'hui, que les Israéliens soient victimes des missiles qui frappent le nord de leur pays.

Mais quoi qu'on puisse penser du Hezbollah, l'attaque qu'il a menée contre des soldats israéliens, dont certains furent tués, et d'autres, enlevés, a servi de prétexte au gouvernement israélien pour mettre en application un plan qu'il avait déjà préparé longtemps à l'avance.

Et reviennent, comme toujours, les appels à l'union sacrée et au soutien inconditionnel à Israël lancés par les institutions qui prétendent représenter la totalité des voix juives en France. Cela non plus, nous ne pouvons l'accepter. Comme en 1982, comme à de nombreuses reprises depuis, les soussignés, Juives et Juifs, reprennent les termes du dernier appel signé par Pierre Vidal-Naquet quelques jours avant sa disparition : “Assez ! Trop, c'est trop !” Il faut un cessez-le-feu immédiat et total, aussi bien au Liban qu'en Israël, en Cisjordanie et à Gaza. Il faut l'ouverture de négociations dont les premiers objectifs seront un échange de prisonniers, le retour de la sécurité et de conditions humaines pour toutes les populations concernées.

Nous demandons au gouvernement français et aux instances européennes de défendre cette position qui avec la juste solution du problème palestinien est la seule capable d'éviter une extension catastrophique du conflit.

Nous tenons, par ailleurs, à saluer nos amis israéliens qui manifestent dans des conditions très difficiles contre la politique de leur propre État.

Premiers signataires :
Raymond Aubrac (ancien résistant), Rony Brauman (médecin, essayiste), Rachel Choukroun (présidente de femmes en Noir, Marseille), Stéphane Hessel (ambassadeur de France), Marcel-Francis Kahn (professeur de médecine), Pascal Lederer (animateur d'Une autre voix juive), Perrine Olff-Rastegar (porte-parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la paix, Strasbourg), Richard Wagman (président d'honneur de l'Union juive française pour la paix, UJFP)

09 août 2006 - Paru dans le Journal “Libération”