Nous n'avons depuis bien longtemps sur l'ensemble de nos medias plus aucune information en provenance du Japon.
Avec l'été et le temps des vacances, on pourrait croire que tout est rentré dans l'ordre et que cette catastrophe, n'est pas aussi majeure que certains voudraient nous le faire croire.

Aussi la découverte d'une résumé en 3 parties de l'intervention du Professeur Tatsuhiko Kodama de l'université de Tokyo qui interpelle les politiciens de son pays en leur demandant : “Que faites-vous ?” sur bistroblog avec la vidéo originale à l'appui a retenu toute mon attention.

D'une par nous avons la chance que l'ensemble des propos forts intéressants soient traduits et résumés en français. Là aussi il est très difficile d'avoir des renseignements fiables dans notre langue !!!

Je reproduis ici la totalité des traductions-résumés des 3 billets de bistroblog avec les références pour ceux qui souhaitent aller à la source.

Il s'agit de l'intervention du Pr. Tatsukiko Kodama, Président du Centre des Radioisotope de l'université de Tokyo, à la Chambre Basse japonaise de la Diète, en tant que témoin pour le Comité de Protection Sociale et du Travail, le 27 juillet 2011.

Vous pouvez visionner l'intervention du Pr. Tatsukiko Kodama en japonais sous titré en français ici :
Première partie :



Seconde partie :



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On a détecté 5 microsieverts/h de radioactivité à Tokai-mura dans la préfecture d'Ibaraki à environ 9h du matin le 15 mars, et averti le ministère de l'éducation et de la science dans le cadre de la “notification de l'article 10” [comme spécifié dans la loi des contre-mesures dans les catastrophes nucléaires]. Plus tard, une radioactivité dépassant 0,5 microsieverts/h a été détectée à Tokyo. Puis le 22 mars il y a plu et la pluie a apporté 0,2 microsieverts/h de radioactivité et c'est je crois la raison d'un niveau élevé ce jour-là.

Le secrétaire en chef du Cabinet Edano a dit à ce moment-là : “Il n'y a pas d'effet immédiat sur la santé”.
J'ai pensé réellement que cela allait devenir un gros, gros problème.

C'était vraiment aux infos que 5 microsieverts/h avait été détecté à Tokai-mura le 15 mars au matin, mais presque personne, sauf les experts en nucléaire comme lui, n'avait fait le lien entre les infos et le niveau élevé à Tokyo. Les habitants de Tokyo n'en ont même rien su. Qu'est-il arrivé ce matin du 15 mars ? Et bien, le réacteur 4 de la centrale a fait à 6h du matin un “gros bruit”, qui a fait exploser le toit et la chambre de suppression du réacteur 2 a explosé à 6h14. Ou bien cela a pu venir de l'explosion du réacteur 3 la veille, le 14 mars à 11h01.

Pourquoi étais-je inquiet ? Parce que la méthode actuelle de prévention des dommages dus aux radiations est basée sur le fait d'avoir une petite quantité de matériaux radioactifs qui émet une très forte radiation. Dans ce cas, la quantité totale de matériaux radioactifs n'est pas un problème. Ce qui l'est c'est l'intensité de la radiation.

Pourtant, dans le cas de l'accident de la centrale de Fukushima, 5 microsieverts dans un rayon de 100 km [il se réfère à Tokai-mura], 0,5 microsieverts dans un rayon de 200 km [il se réfère à la zone de Tokyo] et la radioactivité s'est étendue loin au-delà, même jusqu'aux thés d'Ashigara et Shizuoka, comme tout le monde le sait maintenant.

Donc, au lieu d'une petite quantité de matériaux hautement radioactifs dans une zone restreinte, ce que nous avons est une énorme quantité de matériaux radioactifs largement dispersés.

Quand nous recherchons la maladie des rayons, nous regardons la quantité totale de matériaux radioactifs. Mais il n'y a aucun rapport précis de TEPCO ou du gouvernement japonais pour nous dire combien de matériaux radioactifs ont été libérés de Fukushima.

Donc, en utilisant notre base de connaissance du Centre des Radioisotopes, nous l'avons calculé. En se basant sur les données thermiques, c'est 29,6 fois la quantité libérée par la bombe nucléaire sur Hiroshima. En équivalent uranium, c'est 20 bombes d'Hiroshima.

Ce qui est le plus effrayant est qu'avec une bombe nucléaire la radioactivité va décroître d'un millième en un an, celle d'une centrale nucléaire ne va décroître, elle, que d'un dixième.

En d'autres termes, nous aurions du reconnaître depuis le début qu'exactement comme à Tchernobyl, Fukushima a libéré des matériaux radioactifs équivalents à la quantité de dix bombes nucléaires, et que la contamination qui en résulte est de loin bien pire qu'une contamination par bombe nucléaire.

Quand une grande quantité de matériaux radioactifs est libérée, ce sont des particules. La dispersion des particules est non-linéaire, et c'est l'un des calculs les plus difficiles dans la dynamique des fluides. Le combustible nucléaire est comme du sable caché dans de la résine synthétique, mais une fois que le combustible fond, une grande quantité de particules super-fines est libérée.

Qu'arrive-t-il alors ? Le problème est analogue à celui du foin de riz. Le schéma de contamination ne suit pas des cercles concentriques. Cela dépend du temps. Cela dépend aussi de l'endroit où les particules atterrissent – comme sur des matériaux qui absorbent de l'eau, par exemple.

Nous au Centre des Radioisotopes avons aidé Minami Soma dans l'effort de décontamination. Nous avons effectué 7 décontaminations jusqu'ici. Quand nous y sommes allés la première fois, il n'y avait qu'un seul compteur Geiger. Le 19 mars après que le ministère de l'agriculture a délivré un compte-rendu [sur le bétail], la nourriture, l'eau et le carburant étaient sur le point d'être épuisés dans la ville. Le maire a lancé un appel à l'aide sur Internet, qui a été largement visionné.

Dans ce genre de situation, personne n'a voulu regarder le bout de papier du ministère, personne n'a voulu savoir. Les éleveurs ne savaient pas que le foin de riz était en danger. Ils ont acheté quand même la nourriture à l'extérieur, payant des centaines de milliers de yens, et ont commencé à abreuver le bétail avec la même nappe phréatique qu'eux.

Que pouvions-nous donc faire ? Nous devons garantir qu'une mesure de radioactivité minutieuse est faite dans la zone contaminée. Comme je l'ai dit, il n'y avait qu'un compteur geiger à Minami Soma quand nous sommes venus en mai. En fait, il y avait 20 dosimètres fournis par les militaires US. Mais personne à la mairie ne pouvait comprendre le manuel en anglais jusqu'à ce que nous arrivions et leur disions comment les utiliser. C'est comme cela là-bas.

Quant à l'inspection de la nourriture, il y a plus d'appareils perfectionnés de contrôle que de compteurs pour le germanium, comme les détecteurs semi-conducteurs. Pourquoi le gouvernement japonais ne dépense-t-il pas d'argent pour des subventions [le développement de ces détecteurs perfectionnés] ?

Depuis 3 mois, le gouvernement n'a rien fait de tout cela et j'en tremble de colère.


J'ai eu la charge des médicaments anticorps au bureau du Cabinet quand M. Obuchi était premier ministre [1998]. Nous mettons des radioisotopes dans des médicaments anticorps pour traiter le cancer. En d'autres mots, mon boulot est d'injecter des radioisotopes dans le corps humain, mon inquiétude première concerne l'exposition aux radiations internes et c'est ce que j'ai étudié intensivement.

Le plus grand problème des radiations internes est le cancer. Comment le cancer arrive-t-il ? Parce que les radiations coupent les fils de l'ADN. Comme vous le savez, l'ADN est dans une double hélice. Quand il se trouve dans une double hélice, il est extrêmement stable. Quand une cellule se divise, la double hélice donne des fils simples, elle double et donne 4 fils. Ce passage est le plus vulnérable.

C'est pourquoi les fœtus et les petits enfants, ayant des cellules qui se divisent rapidement, sont plus prédisposés aux dangers des radiations. Même chez les adultes, il y a des cellules qui se divisent rapidement comme celles des cheveux, les cellules sanguines et l'épithélium intestinal et elles peuvent être endommagées par les radiations.

Laissez-moi vous donner un exemple de ce que nous savons des radiations internes.
Une mutation génétique ne cause pas le cancer. Après l'irradiation initiale, il faut un déclenchement particulier pour qu'une cellule mute en une cellule cancéreuse, ce qu'on nomme “mutation conductrice&rdquo ou “mutation de passage&rdquo. (pour les détails, référez-vous s'il vous plaît au document joint sur les cas de Tchernobyl et le césium)

La radiation alpha est la plus connue. J'ai sursauté en entendant un professeur de l'université de Tokyo dire qu'on pouvait boire du plutonium. La radiation alpha est la plus dangereuse. Elle cause des dommages au foie par l'oxyde thorium, comme nous le savons parfaitement en tant que spécialistes du foie.
La radiation interne se réfère à tel et tel millisievert, mais c'est totalement dépourvu de signification.

L'iode-131 va à la glande thyroïde, et l'oxyde de thorium va au foie, et le césium va sur l'épithélium urinaire et la vessie. Un scanner du corps est totalement inutile à moins de regarder ces parties du corps où s'accumulent les radiations.

L'oxyde de thorium est un médium de contraste utilisé en Allemagne depuis 1890. Il a été utilisé au Japon à partir de 1930, mais on a découvert que 25 à 30% des gens développent un cancer du foie 20 à 30 ans plus tard.

Pourquoi faut-il autant de temps pour que le cancer se développe ? L'oxyde de thorium est un nucléide de radiation alpha. La radiation alpha touche les cellules proches et l'ADN le plus endommagé est P53. Nous savons maintenant, merci à la science du génome, la séquence complète de l'ADN humain. Il existe cependant 3 millions de possibilités d'ADN qui sont différentes d'un humain à l'autre. Cela ne veut donc rien dire du tout aujourd'hui de procéder comme si tous les humains étaient identiques. Le principe de base devrait être une “médecine personnalisée” en parlant de radiation interne – avec un ADN endommagé et quel type de changement se produit.

Dans le cas de l'oxyde de thorium, il est prouvé que P53 est endommagé dès le début, et il faut 20 à 30 ans pour qu'une seconde, puis une troisième mutation se produise, causant un cancer du foie et une leucémie.

À propos de l'iode-131. Comme vous le savez, l'iode s'accumule dans la glande thyroïde, et c'est le plus remarquable dans la phase de formation de cette glande, c'est à dire chez les petits enfants.

À l'époque où le premier chercheur d'Ukraine disait en 1991 : “Il y a un nombre croissant de cancers de la thyroïde”, des chercheurs japonais et américains publiaient des articles dans Nature magazine en disant : “Il n'y a pas de relation causale entre la radiation et le cancer de la thyroïde”. Pourquoi disaient-ils cela ? Parce qu'il n'y avait pas de données avant 1986, il n'y avait aucune statistique significative.

La signification statistique a finalement été comprise 20 ans plus tard. Pourquoi ? Parce que le pic démarré en 1986 disparut. Donc même sans données d'avant 86, la survenance de cancer de la thyroïde et de l'exposition aux radiations venant de Tchernobyl avaient une relation de cause à effet. La preuve épidémiologique est très difficile. Il est impossible de prouver jusqu'à ce que tous les cas soient démontrés.

C'est pourquoi, en parlant d'une protection de nos enfants, une approche complètement différente est requise.

Le Dr Shoji Fukushima de l'Institution Nationale appelée le Centre de Recherches Bioassay du Japon, qui recherche les effets sur la santé des composés chimiques, a étudié les maladies impliquant l'appareil urinaire depuis l'accident de Tchernobyl.

Le Dr Fukushima et des médecins ukrainiens ont étudié des parties de vessies enlevées pendant plus de 500 cas de chirurgie pour hypertrophie de la prostate. Ils ont découvert que dans une zone fortement irradiée avec 6 becquerels/litre dans l'urine, il y avait une grande fréquence d'une mutation de P53, bien que 6 Bq puissent sembler minuscule.

Ils ont aussi noté de nombreux cas de conditions de prolifération précancéreuse, que nous supposons dues à l'activation de la kinase p38 et au signal appelé NF-kappa B, menant inévitablement à une cystite proliférante, avec des carcinomes locaux survenant avec une fréquence considérable.

Sachant cela, j'ai été stupéfait d'entendre le rapport disant qu'entre 2 et 13 becquerels/l [de césium radioactif] avaient été détectés dans le lait de 7 mères à Fukushima.

Nous du Centre des Radioisotopes de l'université de Tokyo avons aidé à décontaminer la ville de Minami Soma, en envoyant 4 personnes en même temps en faisant le travail de décontamination sur une distance de 700 km par semaine.

À nouveau, ce qu'il se passe pour Minami Soma montre clairement qu'un rayon de 20 ou 30 km [de la centrale nucléaire] n'a aucun sens. Vous devez mesurer plus en détail, faire des mesures pour chaque école maternelle.

À l'heure actuelle, à partir d'une zone dans un rayon de 20 à 30 km, 1700 scolaires sont mis au bus pour aller à l'école. En fait à Minami Soma, le centre de la ville est situé près de l'océan et 70% des écoles ont un niveau de radioactivité relativement bas. Cependant, les enfants sont obligés de prendre des bus pour se rendre jusqu'aux écoles près d'Iitate-Mura [où la radioactivité est élevée], avec une dépense quotidienne d'un million de yens pour le ramassage scolaire.

Je demande fermement que cette situation se termine le plus tôt possible.


Ce qui est des plus problématiques est que la politique du gouvernement qui ne veut dédommager les habitants pour prix de leur déménagement que si les régions sont des zones officielles d'évacuation. Dans une réunion récente à la Maison des Conseillers, le Président Shimizu de TEPCO et M. Kaieda, Ministre de l'économie, du commerce et de l'industrie ont répondu dans ce sens. Je vous demande de séparer les deux immédiatement – problème du critère de dédommagement et problème de la sécurité des enfants.

Je vous demande fermement de faire tout ce que vous pouvez pour protéger les enfants.


Une autre chose, que je ressens fortement quand je fais ce travail de décontamination à Fukushima, est que la décontamination d'urgence et la décontamination permanente devraient être gérées séparément.

Nous avons fait un certain nombre de travaux de décontamination d'urgence. Par exemple, si vous regardez ce diagramme, vous remarquerez que le fond de ce toboggan est l'endroit où les petits enfants posent leurs mains. À chaque fois que la pluie dévale le toboggan, un nombre important de matériaux radioactifs s'accumule. Il peut y avoir une différence dans le niveau de radioactivité entre le côté droit et le côté gauche. Si une telle différence se produit et si la radioactivité moyenne du toboggan est de 1 microsievert, l'autre côté peut mesurer jusqu'à 10 microsieverts. Nous devrions faire davantage de travail de décontamination d'urgence dans de tels endroits.

Le sol juste en dessous des gouttières de toit est aussi un endroit où les enfants mettent fréquemment leurs mains. En utilisant un laveur à haute pression on peut ramener le niveau de radioactivité de 2 à 0,5 microsievert. Il est cependant extrêmement difficile d'abaisser le niveau en dessous de 0,5 microsievert, parce que tout est contaminé. Les immeubles, les arbres, des zones entières. On peut diminuer la dose de radioactivité d'un endroit, mais il est très difficile de le faire pour la zone entière.

Combien cela coûtera-t-il de faire sérieusement le travail de décontamination ? Dans le cas d'un empoisonnement au cadmium, pour nettoyer de la moitié de son cadmium un périmètre d'environ 3000 hectares, le gouvernement a déjà dépensé 800 billions de yens.
Combien seront nécessaires pour décontaminer un périmètre 1000 fois plus important ?


Enfin, le Pr Kodama souhaitait faire 4 demandes, mais en raison d'une contrainte probable de temps, il n'a pu en énoncer que 3 :

J'aimerai donc faire 4 urgentes requêtes.


Premièrement, je demande que le gouvernement japonais, en tant que politique nationale, innove la manière de mesurer la radioactivité de la nourriture, des sols et de l'eau grâce à l'utilisation d'une technologie de pointe comme celle de détecteurs semi-conducteurs par imagerie. C'est absolument dans les compétences technologiques courantes du Japon.

Deuxièmement, je demande que le gouvernement vote une nouvelle loi aussi tôt que possible pour réduire l'exposition des enfants à la radioactivité. Actuellement ce que je fais est totalement illégal. La Loi de prévention des dommages dus à la radioactivité spécifie la quantité de radiations et les types de radionucléides que chaque institution peut gérer. Aujourd'hui l'université de Tokyo mobilise ses forces dans ses 27 centres pour aider à décontaminer Minami Soma, mais nombre de ces centres n'ont pas l'autorisation de s'occuper du césium. Il est illégal de le transporter en voiture. Nous ne pouvons malgré tout laisser des matériaux radioactifs aux mères et enseignants là-bas, et nous les mettons donc dans des bidons et les rapportons à Tokyo. Les recevoir est illégal. Tout est illégal.

La Diète est à blâmer pour laisser faire de telles situations. Il y a de nombreuses institutions au Japon, comme les centres de radioisotopes des universités nationales, qui ont des détecteurs à germanium et autres détecteurs en pointe. Mais comment pouvons-nous en tant que nation, protéger nos enfants si ces institutions ont les mains ligotées ? C'est le résultat d'une négligence grossière de la Diète.

Troisièmement, je demande que le gouvernement en tant que politique nationale mobilise les forces technologiques du secteur privé pour décontaminer les terres. Il existe de nombreuses sociétés ayant des compétences en décontamination ; des sociétés de chimie comme Toray et Kurita, des sociétés de décontamination comme la corporation Takenaka. S'il vous plaît mobilisez leurs forces pour créer un centre de recherche en décontamination à Fukushima dès que possible.

Cela demandera des dizaines de millions de yens pour le travail de décontamination. Je suis gravement inquiet de la possibilité de concessions à faire sur une implication dans les projets de travail. [en d'autres termes, le business comme d'habitude au Japon où seuls les affaires et les politiciens sont les seuls bénéficiaires].

Nous ne pouvons nous payer le luxe d'une seconde de plus à considérer la condition financière du gouvernement japonais. Nous devons résoudre le problème d'un vrai travail de décontamination.

Que diable fait la Diète, quand 70.000 personnes ont du quitter de force leurs maisons et vagabonder ?


C'est tout.
Merci.


Pour ceux qui le souhaitent vous pouvez télécharger l'intégralité de cette traduction au format doc ici.